Les maisons médicales belges : lutte historique pour une approche communautaire et globale de la santé : un système de santé pour les pauvres ?

Visite de la fédération de maisons médicales IGL de Liège : une histoire ancrée dans un passé industriel d’exploitation minière.

Lors de notre voyage d’étude, nous avons rencontré le groupement en santé mentale de Seraing, puis Jean Philippe Robinet, coordinateur à l’IGL, Intergroupe liégeois de maisons médicales situées à Liège. L’histoire des maisons médicales, véritable proposition sociale du soin, s’enracine dans le passé industriel et politique belge. Seraing, petite ville d’environ 60 000 habitants de l’agglomération liégeoise, est marquée par l’exploitation minière et la production métallurgique. En effet, au plus fort de son activité, le bassin comptait un dizaine de hauts fourneaux et jusqu’à 80 000 personnes en 1930, dans la seule ville de Seraing. Après la seconde guerre mondiale, un accord avec l’Italie est signé pour faire venir 50 000 ouvriers italiens pour répondre aux besoins en mains d’œuvre.  Les quartiers que nous traversons, de bâtiments en briques rouges, hautes cheminées abandonnées, constructions métalliques, témoignent de cette activité intense mais dont le déclin débuta dès les années 70. Le taux de chômage est de plus de 25%, la population, cosmopolite est principalement ouvrière. Les maisons médicales naissent de cette histoire, des revendications de mai 68 et d’une conception sociétale du soin.

Un modèle de soin en lien avec une conception de société : luttes et positionnement politique de soignants et usagers 

Les maisons médicales sont nées il y a une cinquantaine d’années de la volonté de médecins et d’infirmiers,  convaincus de la nécessité d’un dispositif accessible à tous de manière inconditionnelle et en autogestion, prenant en compte l’ensemble des dimensions de la santé, dans la continuité des revendications de mai 68. Ils lancent des collectifs pluridisciplinaires et se constituent en maisons médicales ASBL (association sans but lucratif). On y trouve infirmier, médecin généraliste, kinésithérapeute, psychologue, travailleur social… dans une approche et un travail interdisciplinaire et démocratique, rompant avec toute considération hiérarchique des soignants.

Ce sont des soins « de première ligne », c’est à dire en amont des soins spécialisés en hôpital ou chez des spécialistes, dans l’idée que cela coûte moins cher et est plus simple à mettre en place, et souvent bien plus adapté au besoin réel.

Ces collectifs avaient l’idée que c’était la société qui était malade, et que les personnes concernées avaient leur mot à dire sur leurs soins. L’approche de l’hôpital était segmentée, sur une prise en compte très fonctionnelle de la maladie. La conception du soin prônée était une prise en charge psycho-médico-sociale de la personne.

Ces maisons médicales apparaissent à la même période que les centres de planning familial, les centres de santé mentale, les boutiques de droit et répondent aux demandes d’IVG, aux suivis de toxicomanes, aux problèmes de logements insalubres, malnutrition, aux désirs d’accompagnement de fin de vie…

En 1964, une grande grève de médecins éclate pour protester contre la régulation des honoraires des médecins, bloquant ainsi tout le système de santé pendant dix-huit jours. A l’issue de ce mouvement, une plateforme dissidente est créée : le GERM, groupe de toute personne intéressée par les questions de santé.

Suite à la grève, des médecins, convaincus de la nécessité de la continuité des soins, organisent un service minimum de consultations pluridisciplinaires, de proximité. Ils gagnent en crédibilité vis à vis des organisations financeurs.

Une maison médicale, comment cela fonctionne ? Un financement au forfait plutôt qu’à l’acte – la participation des patients – mise en œuvre d’un système de soin curatif et préventif de première ligne

La fonction « d’accueil » y est primordiale, véritable lieu d’écoute basée sur le non jugement et l’empathie, on y aborde tous les éléments de la situation : logement, emploi, santé physique et psychique, autour d’une tasse de café.  Il y est abordé les traitements contre les poux, les problèmes de logement, de l’information sur différentes maladies. Implantées dans les quartiers les plus défavorisés, les maisons médicales prennent en charge beaucoup de personnes en précarité.

La personne s’inscrit à la maison médicale de son quartier : elle signe une convention qui la lie à la maison médicale et à sa mutuelle (caisse primaire d’assurance maladie et assurance complémentaire), elle devient alors un de ses membres. La mutuelle verse un « forfait » à la maison médicale pour chaque membre inscrit. Ce qui inverse le principe de tarification à l’acte. Ce système est mis en place depuis 1982. Ici, le membre consulte autant que de besoin, il n’aura aucun paiement à effectuer. Le principe du forfait inscrit de fait un fonctionnement par solidarité entre ses membres, et valorise la santé globale plutôt que la maladie. En effet, la maison médicale a besoin, pour fonctionner, que ses membres soient plutôt en bonne santé. Dès lors, nous comprenons l’importance des actions de prévention et la prise en compte de tous les facteurs de santé y compris psycho-socio-culturel (logement, travail, alimentation, hygiène de vie, culture).

Les Maisons de santé et psychothérapie institutionnelle : approches territoriales et participatives du soin

Situées dans les mêmes terreaux de pensée, la médecine générale et la psychiatrie, au travers de la psychothérapie institutionnelle, mettent en œuvre les mêmes outils, visant la participation démocratique, la prise en compte globale de la personne. Toute deux trouvent leur origine dans un projet politique qui défend l’intérêt de la personne au travers de la prise en charge du collectif, du territoire et de la pleine participation de ses usagers dans leur pouvoir décisionnel et participatif dans l’organisation, rompant ainsi avec la hiérarchie liée au savoir « savant » et à l’argent.

Cependant la maison médicale est dès le début installée au plus près du lieu de vie de ses membres, inscrite dans leur quotidien, centrée sur les actions de prévention.

Elle propose une approche locale, intégrée et proche des gens, une médecine dans les quartiers et associée au social.

Adapter les soins aux gens à leur qualité de vie et à leurs aspirations : les soins sont concertés entre soignant et patient

La maison médicale est constituée en association gérée par ses membres et salarié.es.

Les patients vont participer aux décisions et aux groupes de réflexion afin de définir les orientations et projets de prévention.

Elle peut ainsi s’appuyer sur le collectif pour faire avancer les lois.

Les maisons médicales : quels enjeux actuels ?

Une évaluation récente montre que les pratiques de groupe permettent de mieux prendre en charge les besoins de santé primaire, et défend le principe d’une enveloppe de financement ouverte afin de favoriser la création de nouvelles maisons médicales. Cependant, l’appellation de « maison médicale » peut être perçue comme un sous-dispositif de santé au rabais, pour les personnes précaires. En outre,  d’autres structures ouvrent aujourd’hui sans partager les mêmes valeurs, le risque étant de perdre le sens de la démarche autour du soin…

C’est pourquoi les maisons médicales et maisons de soins intégrés se sont regroupées en fédération pour définir leurs critères de qualité, tel un label et faire reconnaître les particularités de leur proposition :

Les critères de qualité GICA de soins :

Globalité : soins prenant en compte le corps et l’esprit, prise en compte des différents besoins, prise en compte du sujet.

Intégration : pas de curatif, place à la prévention et à l’éducation du patient, promotion de la santé

Continuité : proposer les soins sur le long terme, du berceau au tombeau

Accessibilité : le coût ne doit pas être un frein aux soins de 1ere ligne, et doit prendre en compte la diversité culturelle, ancrée dans la vie du quartier, prendre en compte la langue parlée par le patient, et prendre en compte les situations de handicap.

Le regroupement en fédération leur permet aussi de négocier ensemble le tarif du forfait attribué par les caisses d’assurances maladies et mutuelles (INAMI) et de réfléchir ensemble à leur répartition.

Sophie Blondel, décembre 2022

Références :

Soundcloud : podcasts « rêves de santé »

www.ieb.be : une histoire des maisons médicales en Belgique

www.40ans-fmm.be