Parcours insolites dans Lisbonne où l’on investit des lieux de vie très éloignés des circuits touristiques traditionnels. Lieux à la fois si proches géographiquement mais si éloignés en termes de culture et de conditions de vie.

Lisbonne est une ville en pleine rénovation urbaine, aux multiples chantiers et… comme à chaque fois qu’on réaménage une ville, la tentation est grande d’évacuer ce qui dérange, ce qui ne se laisse pas voir : les oubliés de la récession économique, ceux qui, rejetés par le système, se sont organisés en autarcie dans des quartiers où se cumulent les difficultés économiques et sociales.

Dans le quartier de Cabrinha, l’association “fazer o Ponte” (projet “faire le pont” financé par le programme Escolhas) tente de rompre l’isolement à la fois géographique et psychologique des habitants du quartier coincé entre une voie rapide de circulation et la paroi rocheuse de la vallée de l’Alcântara. Ici pas de migrants mais des citoyens portugais en grande précarité qui tentent de survivre dans un univers où tout est fait pour rester dans l’entre-soi : un habitat resserré constitué de deux longues barres immeubles où certains “tiennent la place” dans cet espace gangréné par le trafic de drogue.

Aujourd’hui, c’est “carnaval” et même si l’évènement est endeuillé par le décès d’un jeune du quartier, deux salles richement décorées accueillent enfants déguisés et personnes âgées autour de jeux suivis d’un goûter. Après un passage par les festivités costumées, Patricia -responsable des lieux- nous présente les projets de l’association avec une particularité que nous rencontrons ici : la multiplicité des projets et des partenariats selon chacun d’entre eux (associations, mairies de secteur, ville…), un fonctionnement basé sur l’appel à projets avec une grande rigueur dans l’organisation, chaque participant (bénéficiaire ou animateur) intervenant au niveau du suivi ou de la validation de l’effet des actions affichées. 

Si au GFEN, nous affirmons que les pratiques ne valent que par les valeurs qui les portent, cette foi affichée de Patricia en la capacité de chacun à prendre en main son destin force le respect. Chaque situation est analysée par l’équipe encadrante pour favoriser le désenclavement, faire se rencontrer les différents acteurs, rapprocher les générations et surtout oser sortir du cadre, partir à la découverte de ce qui se passe de l’autre côté de la voie rapide : d’autres quartiers, le centre ville et ses administrations, l’utilisation des transports en commun, les modalités d’une insertion professionnelle, des activités culturelles… Et si on réussit pour quelques-uns, alors c’est déjà une victoire !

Et l’école dans tout ça ? Quelle place des enseignants ? La difficulté c’est que les enseignants issus de classes moyennes connaissent mal les conditions de vie de ces enfants qu’ils jugent difficiles. Comment imaginer une vie d’enfant confronté à la violence familiale et sociale sans possibilité de mise en cohérence des relations entre adultes ?  Quels sens donner aux apprentissages scolaires lorsque tout écrit d’avance dans cet univers clos d’où il semble impossible de s’extraire ? D’où l’idée de l’association d’organiser une formation en direction des enseignants pour qu’ils approchent cette réalité familiale et/ou sociale qui empêchent certains enfants d’entrer dans les apprentissages scolaires tant ils sont éloignés des codes de l’école.  Certes, cela n’intéresse pas encore tous les enseignants des écoles du quartier mais on avance petit à petit et des progrès sont sensibles dans la relation entre ces professeurs et leurs élèves. Patricia y croit et malgré les obstacles qui s’accumulent, elle garde le cap en concluant :  “Il n’y a pas d’enfants terribles, il n’y a que des enfants qui ont des histoires terribles !”

Jacqueline Bonnard