A vingt ans, j’ai quitté « ma terre » – était-ce bien la mienne d’ailleurs ? – pour une autre terre inconnue, lointaine sans me préoccuper des notions d’accueil, d’intégration, d’adaptation, de rejet, de désillusion.

Je suis parti, c’est tout. Sans vraiment le savoir, j’ai mis une distance entre ce que j’étais jusqu’alors et ce que je serai devenu plus tard.

Je suis devenu un migrant dans l’espace-terre et parallèlement un migrant dans l’espace-tête.

Lorsque je considère les migrants en quête d’un eldorado supposé, qui échouent – dans les deux sens du terme – sur les côtes méditerranéennes, je mesure combien ma situation de migrant d’alors – près de cinquante ans plus tôt – était enviable, voire dorée. Même si les six cents francs de l’époque que je transportais en plus de ma valise en carton, ne pesaient pas lourds face à cette aventure que représente tout départ ignorant de l’arrivée.

Venu d’ailleurs, comment allais-je pouvoir être reçu, me faire accepter, moi, différent de ceux que j’envahissais sans soupçonner un instant la tragédie de l’histoire négrière et coloniale qui, si elle avait disparu, n’en avait pas moins laissé les traces de son passage. Que savais-je de tout cela ?

J’ai débarqué un après-midi de septembre, accablé par une chaleur humide qui m’envahissait, empli d’ignorance et de timidité. Et c’est sans doute le seul ouvrage de Frantz Fanon que j’avais déniché un peu par hasard avant mon départ  qui m’ouvrit la première porte avant celle de l’avion pour descendre sur le tarmac. En entrant dans un pays, j’entrais inconsciemment dans une culture constituée de mille aspects qui m’étaient étrangers. Même si la lecture m’avait fourni quelques clés, je ne les avais pas encore introduites dans la serrure…

J’étais un migrant et bien des années après je suis toujours un migrant, même si l’accueil que j’ai reçu à mon arrivée – un accueil inattendu – m’a convaincu très vite que je serai ici un jour chez moi. Le suis-je vraiment ? Peu importe, je serai toujours d’ici et d’ailleurs…Je continue de migrer dans ma tête

Je suis parti et j’ai eu la chance, à travers une multitude de rencontres, de me trouver, de trouver ma place qui n’était pas au soleil, mais au contact de. Il est parfois difficile de s’intégrer et plus aisé d’être intégré, d’être reconnu pour qui l’on est, c’est-à-dire, en ce qui me concerne, quelqu’un qui en partant de chez lui a laissé quelque chose de sa suffisance, de ses certitudes, de son expérience pour être perméable à la nouveauté, à la différence, à l’enchantement et parfois au désenchantement.

Je suis un migrant qui apporte peu pour apprendre beaucoup, un migrant qui n’est pas venu encombré de bagages tous plus inutiles les uns que les autres. Garder de la place en soi pour accepter de comprendre ce qui va se jouer. Quitte – le pays – ou double – la mise – ?

Je repense à tous les migrant.e.s de l’époque actuelle, chassé.es par la faim, la misère, la guerre et déjà les dérèglements climatiques, à tous les migrant.e.s simplement persuadé.es qu’ailleurs l’air est plus pur à respirer, le travail plus facile à trouver, le logement plus confortable à habiter, les gens…les gens plus disposés à vous accueillir : que de déconvenues à leur arrivée !

Je suis un migrant qui n’a pas été chassé de son pays, ma migration bien qu’un peu forcée par les vicissitudes de la vie, n’a rien de comparable à ces calvaires endurés. J’ai vécu une migration toute en douceur !

Je suis un migrant heureux et fier d’y être parvenu !

Gérard Bouhot

Militant AT CEMEA de Martinique