Au sud de Florence, se trouve deux vallées, celles du Chianti et la Vallée de l’Arno ; entre les deux, un village enclavé. C’est donc ici que commence l’histoire, celle d’un village confronté à la problématique de la migration. D’un côté une association qui doit accueillir une trentaine de migrants et de l’autre 190 habitants qui se posent des questions, des peurs, de mauvaises représentations.

230 signatures sont collectées pour une pétition, pour s’opposer à la venue de ces personnes. 230 ? C’est plus que le nombre d’habitants bien sûr ! Ont-ils fait signer les morts ?

Andreas Robert Formiconi, et d’autres décident d’aller à la rencontre des membres de leur village. Le curé prête un espace pour la réunion. Discuter, ne pas éviter le conflit, surtout comprendre ce qui se passe dans la communauté est la première intention. C’est chaud, les carabiniers sont présents, le Maire et les villageois, dans un climat de tension, discutent, se disputent. L’une prend son téléphone et dit : « je te film là, fais gaffe à ce que tu dis, car je poste ça sur Facebook ».

Puis vient une deuxième étape de la rencontre. Cette fois il faut dépasser les représentations, et comme le dit Andréas, « informer justement car tout le monde a des informations mais pas de vraies connaissances, c’est une première difficulté. Ils sont désinformés par des médias comme « CNews. » Deuxième intention donner des informations vérifiées, démonter les certitudes de l’un qui dit qu’on va « me voler ma voiture », de l’autre qui affirme du haut de ces 92 ans qu’elle va être violée. Tenter de redonner des clés de compréhension : c’est quoi une migration ethnique, économique, un permis de séjour, pourquoi il y a-t-il plusieurs permis de séjour ?

Il s’agit de gagner une dernière étape dans cette bataille : accepter qu’ils arrivent, et après… on verra ! L’assemblée populaire décide de les accueillir. Et après ?

Rien ne se passe comme prévu ! Les jeunes migrants qui arrivent les premiers, sont très jeunes et c’est une vraie surprise, vécue positivement. Ils ne comprennent pas l’italien ni le système. Ils viennent de plusieurs pays : Pakistan, Malaisie, Ghana, Érythrée, Mali, Sénégal, Guinée… « A la première rencontre avec eux, on a fait un cercle ». Andréas a mis une affiche au mur et a proposé un jeu : chacun devait écrire son nom, sa langue parlée et son pays. Au total, 10 langues parlées pour 13 personnes présentes. Le groupe d’italiens découvre aussi les langues véhiculaires (les dialectes, le Wollof…). « Et tout l’Univers » : un analphabète et une personne qui était dans son pays en quatrième année de mathématiques, avec qui Andréas qui est physicien de métier a parlé théorème de Newton.

Andréas raconte : « On a tout de suite compris comme c’est difficile d’apprendre la langue, que ça passe par la proximité, l’attention à l’autre,  la compréhension au niveau microscopique. Si on fait des catégories avec ces personnes, on passe à côté de quelque chose ». C’est ainsi que les villageois ont créé une « petite école », c’est comme ça qu’ils l’ont appelée avec des principes très simples : se mettre en disponibilité d’accueil, parler la langue (une enseignante et 3 ou 4 personnes max), et sans programme du type scolaire. Etre ouvert, à l’inattendu de la rencontre; assurer une permanence 2 fois par semaine. « On parle… de ce qui s’est passé hier, ce jour, de tout. Et par là même on comprend le système italien et on parle la langue. »

« Un jeune est  fâché : il ne comprend pas. Il a pris une place dans le train, elle était libre ; Il s’est fait contrôler ; On lui a fait payer une amende. « Pourquoi payer contre un morceau de papier ? » dit-il.

« Avec lui, on a décrypté les étiquettes, les transports, le contrôle. En faisant ça, on fait de l’italien. Et on se parle aussi de comment on est citoyen ? puis de comment on fait une carte de séjour ? Comment on fait les CV, pour trouver du travail ? »

6 mois avant, ces jeunes hommes faisaient peurs. « C’est le premier pas de l’intégration de dépasser les peurs en se rencontrant, en se comprenant. Et ensuite c’est de leur trouver du travail. »

Le projet a ainsi évolué. Andréas a eu l’idée avec d’autres de créer une carte inter-active des bonnes initiatives « la carte de la positivité ». Et celle-ci a depuis obtenu un financement européen.

Nous retenons de cet échange cette dimension de proximité qu’il a fallu ici reconquérir, entre villageois d’abord, puis dans l’accueil de la différence de l’autre. Un peu comme on entre en démocratie : quand c’est la guerre, le conflit, il faut passer par des étapes pour conquérir la paix. Ici reconnaitre que nous sommes en désaccord dans le village pour accueillir cette situation ; puis s’en parler dans l’assemblée populaire, maintenir le dialogue même en cas de désaccord. Même verbaliser les désaccords !

Désinformer, informer, s’appuyer sur des connaissances partagées, des informations vérifiées, les partager peut permettre de produire de la connaissance qu’on peut mettre en commun, pour tenter de comprendre, de dépasser ses peurs, et d’accueillir une situation nouvelle.

Se mettre dans une aptitude à la proximité de l’autre, cet étranger : être là dans cette petite école, maintenir le lien, l’espace, les règles pour que l’autre puisse apprendre. Est-ce ça un espace démocratique ? Et ainsi, dépasser ses représentations, rires des petites choses du quotidien, faire ensemble un repas, le partager… être à la bonne distance, dit-on souvent en formation. Laquelle ? celle de soi avec l’autre, l’ensemble des autres… où se mettre en proximité, aptitude réceptive, à l’écoute sans aucun doute.

Anne-Claire

Pour en savoir plus : https://lacanet.org/