Et toi qu’est-ce que tu ramènes à la maison ?

C’est une structure qui travaille avec les SDF, en fait c’est plutôt un réseau d’association et de coopératives qui gèrent les services d’accueil des personnes sans domiciles fixes. La Ville de Florence a souhaité que les associations s’organisent pour assurer l’ensemble du service : répondre d’abord aux besoins primaires et du quotidien : manger, se laver, prendre une douche, déposer en lieu sûr son bagage, bénéficier d’une adresse postale pour accéder aux droits sociaux… Ici 850 personnes sont « hébergés » administrativement, et elles viennent de toute l’Italie, car c’est un service qui est assez inexistant dans les autres régions. Excepté les sans-papiers, l’accès est universel et sans discriminations.

Nous rencontrons Yakoppo qui est coordinateur, il n’est donc pas là en permanence sur le lieu d’accueil : il nous présente le projet et l’équipe. Il nous propose ensuite de participer au groupe de parole avec les personnes : ce groupe est ouvert, libre et gratuit. Nous nous y rendons donc avec eux à quelques distances de là. Un autre espace et quelques personnes nous attendent. 

Nous partageons la brioche « pain d’or » et le café, puis nous nous installons dans le cercle de chaise.

La parole circule avec l’aide du « conductore » en charge de l’animation de ce temps. Des professionnels (psychiatre, psychologue, éducateurs) sont membres de l’équipe et d’autres sont volontaires pour participer à ce travail du groupe : une heure de parole libre, le vendredi matin. Les bénéficiares sont là, au nombre de 4 personnes.

Une première personne s’exprime, elle interroge la charge qui est celle des psy, d’être à l’écoute de leurs difficultés  : comment s’en sort-on demande-t-il quand on rentre chez soi, comment faire la part des choses entre le privé et le professionnel, qu’est-ce qu’on ramène à la maison ? une des psy l’interroge en lui renvoyant la question : et toi qu’est-ce que tu ramènes ?

Le « conductor », incite l’usager à répondre à cette question, puis invite G à répondre. Elle indique que les choses sont en effet différentes entre ce qu’elle vit ici, en tant que psy, et ce qu’elle vit avec ses enfants ou ses petits-enfants ; P parle du nécessaire travail sur lui-même en tant que Psychanalyste pour arriver à être en paix avec lui-même, quand les histoires qu’il entend sont délicates parce qu’elles résonnent en lui. D ajoute, que c’est difficile, c’est un travail du quotidien, que souvent ce qui est raconté là, fait surgir des évocations, des souvenirs personnels.

Le conducteur, reprend la question « et vous, que ramenez-vous à la maison ? » et s’adresse aux membres du groupe, lui-même se demande comment nous allons le juger, nous qui sommes là de passage, et eux les usagers, lui-même fait un travail sur lui. «  Ce n’est pas facile la parole. » Et il sollicite le groupe : trois membres vont s’exprimer tour à tour dans une parole authentique où surgit tantôt la difficulté de la dimension amoureuse pour l’un suite à sa séparation encore vivace ; une relation filiale pour un autre qui ne peut comprendre que sa fille se drogue, mais encore moins qu’elle revende de la drogue, ultime point de rupture ? Quand il indique aussi avoir lui aussi fait des conneries ; le dernier évoque des pensées suicidaires qu’il a eu suite à sa séparation lié à des violences avec son père notamment, qui a entrainé sa fuite, son émigration en Italie : il raconte la rupture, la trajectoire et comment cette pensée du suicide, il en a pris conscience après coup. Il évoque un puit, celui sans fond peut-être ?

L’écoute, les regards la sollicitude et l’empathie, est un  ressenti très fort de l’ambiance, Dans ce prendre soin, chacun apporte son soutien à l’un, à l’autre : un regard un geste, un mouchoir pour les larmes proposés par un autre… où celui qui parle et celui qui écoute se porte ensemble et sans doute se supporte mieux ? Au sens symbolique, la fonction phorique, le phare, s’installe pour les membres du groupe. Cette fonction du portage singulier, du transfert et du contre transfert qui fait sens dans cette maison. Comme une sorte de clé de lecture ou de porte d’entrée, nous nous quittons avec cette question : qu’est-ce que moi aussi je ramène à la maison ? « L’humanité dans toute ses facettes et l’envie une nouvelle fois par les rencontres de comprendre ces liens inédits de la rencontre à l’autre, de la rencontre à soi. Et pour ce faire, l’intérêt de cette mobilité, qui n’est pas que physiquement un déplacement vers ailleurs (de France vers l’Italie) mais un ailleurs qui sans doute m’apporte une agilité plus grande, une mobilité interne.

Anne-Claire